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Legifrance : y'a quand meme a redire




Bonjour,

autant il m'est agréable de dire du bien de article@inist
ou de Gallica.. puis éventuellement de pointer des améliorations
souhaitables, autant j'ai vraiment du mal à avoir cette attitude
face à Légifrance.

Légifrance : http://www.legifrance.gouv.fr

Ce site est issu du gouvernement (SGG, secrétariat général du gouvernement),
et vise une mission qui n'apparaît pas clairement.

* Il y a une volonté de s'adresser au "citoyen" soit, comme le propose
la rubrique "actualité" (en cours de construction) :
        Cette rubrique est destinée à aider un public de non-spécialistes
        du droit à suivre l'évolution de l'actualité
        normative et jurisprudentielle dans ses grandes lignes,
        en France, mais égalemment à l'échelle européenne
        et internationale.

* Il y a la réponse à l'annonce de Lionel Jospin à Hourtin en aout
de mettre à disposition gratuitement le texte du JO sur internet.

* Il y a une série de liens vers les autres sites juridiques ou
législatifs.

Mais rien de tout cela ne semble fait avec une réflexion préalable.
Il y a bien quelque chose, ainsi les critiques seront évacuées...
mais il n'y a pas grand chose, ainsi on protège le juteux
marché de l'information juridique.

Certes, l'Etat doit jouer un rôle pédagogique et proposer
à tous une information juridique synthétique, permettant réellement
de comprendre les fonctionnements de la République, et de suivre
les évolutions du droit. L'idée d'un "web citoyen" (c'était le
nom initial, abandonné à cause des initiales :-) est donc bonne.

        Mais on ne peut se contenter de "bonnes idées".
        Le citoyen n'est pas une catégorie de marché, calibrée
        et uniforme. Au contraire, ce concept recouvre des
        niveaux d'investissement dans la vie publique et de
        relation à la loi (et la politique) très diversifiés.

        Donc il y a forcément plusieurs niveaux pour s'adresser au
        citoyen. Et c'est cela qui redonne toute sa place aux
        intermédiaires : associations, partis politiques, syndicats,
        groupes de réflexion, réseaux d'influence... La démocratie,
        ce n'est surtout pas d'un côté l'Etat, de l'autre
        les anonymes isolés, se faisant une idée de tout et sur
        tout. Il n'y a pas de lecture univoque de la loi, de
        ce qui est socialement juste et économiquement équitable.
        Il y a une lecture sociale, collective et coopérative.

        Offrir de l'information au citoyen, c'est donc tout à la
        fois offrir des accès direct aux documents juridiques et
        administratifs, et offrir des moyens aux corps intermédiaires
        d'exploiter et utiliser ces documents pour faire leur propre
        travail d'analyse, d'interprétation. C'est cela qui ressoudera
        le lien social.


Le site indique en exergue : "Nul n'est censé ignorer la Loi".

Effectivement... pour autant, nul (ou presque) ne lit la loi
tous les jours au petit déjeuner. La Loi ne prend sa place et
son utilité que dans la mise à disposition permanente, par des
articles de loi que l'on peut "lire, relire et critiquer" donc
que l'on peut citer !!!

        Or sur Légifrance, aucun document n'est disponible de façon
        fixe et claire,  avec un URL associé.

        Le rôle de l'Etat n'est-il pas de proposer, avec les moyens
        modernes, une "bibliothèque numérique" des textes de Loi.
        Ce qui aurait une autre ampleur que la diffusion,
        parcellaire qui plus est, de quelques numéros du JO.

        Cela implique aussi de permettre des modes d'accès aux
        textes de Loi qui passent par autre chose que la recherche
        par mots-clés (aussi perfectionnée soit la recherche,
        l'expérience des bibliothèques montre que cela ne suffit pas).

        Cet autre mode d'accès s'appelle l'hypertexte :
        - telle association, spécialisée dans x, y ou z, fait de
        l'information et pointe vers les textes de références ;
        - tel parti souhaite attirer l'attention de ses électeurs
        vers tel ou tel article qu'il approuve ou conteste ;
        - tel syndicat fait part à ses élus, ses conseillers prudhommaux
        ou ses adhérents de nouvelles lois, ou d'interprétations
        spécifiques des textes du droit du travail;
        - tel groupe d'enseignants de droit ou de sociologie demande
        un sujet de devoir d'étudiants autour de la lecture critique
        et coopérative de textes de loi... et offre ce travail aux
        autres lecteurs de l'internet.

        Or Légifrance n'est pas cela, ne permet pas cette
        véritable appropriation citoyenne de la loi et
        partant du débat juridique, politique et social.
        Ce débat qui nous manque si cruellement en ces temps
        de pensée unique.

        Et on revient à la case départ : le rôle de garant
        collectif des règles d'égalité de la République
        qui est imparti à l'Etat impose que, s'il décide
        d'utiliser un média comme l'internet pour rendre la
        loi disponible, il se doive de propose un mode qui soit à la fois
        non-discrétionnaire et pérenne (droit de lien et de
        citation, droit de reproduction illimité des textes de loi..).

        Légifrance, quelle que soit la manière dont on tourne le
        problème n'est pas cela : pas de citation possible,
        pas de redistribution, pas d'accès direct à chaque loi
        sans passer par le système de requête...

        Et bien évidemment une couverture qui n'est vraiment pas
        à la hauteur des besoins du citoyens, ni des moyens techniques
        dont on dispose aujourd'hui, tant au niveau des sources numériques
        des textes de loi que des moyens informatiques de traitement
        et d'indexation.

        Si encore le fait de débuter la diffusion du JO en janvier 98
        était présenté comme une amorce, un début, une expérience,
        on pourrait tempêter, mais comprendre. Là ce n'est pas ça :
        il est dit clairement que l'antériorité reste du domaine
        de la "concession de service public".


Et au fond le problème est bien celui-là !!!!

Non seulement cette concession empêche l'égalité républicaine
devant l'accès à la loi en favorisant ceux qui ont les moyens
de s'offrir l'accès payant à Jurifrance, mais elle impose
aussi que le système même d'accès aux maigres parties gratuites
soit l'oeuvre de la société concussionnaire !!!! Avec ses
méthodes héritées de l'univers restreint des banques de données
professionnelles (accès par requête). Alors que nous changeons
de média, et d'univers de référence intellectuel : le lien,
fondement du web est aussi le fondement du débat politique et
juridique. Le lien hypertexte social, quoi :-)



On peut faire d'autres critiques à ce site, mais je me contenterais
aujourd'hui d'une simple  remarque :

        Quand on part de Légifrance pour atteindre un des
        "autres sites juridiques" proposé en lien... on reste avec
        un panneau Légifrance sur la gauche de l'écran, et
        l'URL de légifrance dans la zone de l'adresse du navigateur.

        Au bilan, l'Assemblée et le Sénat deviennent des dépendances
        du Gouvernement. Faudrait que je retrouve mes textes
        d'écolier, mais ce n'est pas ainsi que mon souvenir
        interprète la "séparation du législatif, du juridique
        et de l'exécutif".

        A moins qu'une loi soit parue, m'ait échappée... et que je
        ne puisse pas la retrouver sur légifrance, car elle daterait
        d'avant 1998.


Hervé Le Crosnier
Herve.Le_Crosnier@info.unicaen.fr
http://www.info.unicaen.fr/herve/